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Discriminations sur le marché du travail : c’est mon problème ? Cohliane Balanger 20 septembre 2022

Discriminations sur le marché du travail : c’est mon problème ?

L’égalité des chances ne se décrète pas. Elle se gagne. Collectivement.

Depuis des années, les politiques et les actions mises en place visent à faire la promotion de la diversité et à soutenir les personnes victimes de discriminations. C’est important. Mais ce n’est pas suffisant. Cela peut même devenir contre-productif, en enfermant les gens dans des catégories réductrices et infantilisantes.

Une part du problème ne vient-elle pas de nous tous ?

Nous suivons le mouvement d’une compétition généralisée qui s’apparente plus à un concours de beauté qu’à un mouvement pour une société plus juste.

Les réseaux sociaux professionnels nous poussent à nous transformer en produits et à vouloir nous démarquer, y compris pour des mauvaises raisons. Photo de profils, nombre de contacts, engagements plus ou moins fictifs, commentaires assassins sur les publications de personnes que nous ne connaissons pas… Nous voulons tellement nous démarquer des autres ! 

En acceptant de bonne grâce la guerre des talents, nous faisons le jeu de la domination sociale que nous dénonçons par ailleurs. A la fin, ce sont toujours les mêmes profils, conformes aux attentes et biberonnés aux “soft skills”, qui gagnent… Pas vraiment la marque d’une société plus inclusive.

C’est ainsi qu’est née la communauté #je ne suis pas un cv : une communauté large, diverse et engagée concrètement pour l’égalité des chances. Le but ? Faire passer un message fort au monde du travail : les talents sont partout

Il faut juste changer d’angle !

Discriminations à l’embauche.

…une expression devenue malheureusement familière.  Toutes les catégories d’entreprises sont touchées : les grandes comme les petites.

Ces dernières années, des études, des opérations de testing et des campagnes de communication nous permettent de  mieux comprendre ce qui se passe dans le monde du travail. Cela était nécessaire, pour saisir l’ampleur du phénomène.
Facteur aggravant, ces pratiques semblent tellement ancrées dans nos habitudes qu’elles sont inconscientes. On appelle ça désormais les biais de représentation. Ces réflexes d’exclusion sont heureusement dénoncés, et notamment démontés par les neurosciences pour nous permettre d’y échapper. Pour aligner enfin, dans le recrutement, les actes avec les valeurs ? Pas si simple…

C’est donc si grave ?

Oui, parce que cela touche un grand nombre de personnes dans notre pays. Le monde du travail fait ainsi face à un enjeu sociétal, bien au-delà des questions de performance économique. C’est donc un problème complexe, mais qui vaut la peine de s’y intéresser.

Essayons d’y voir un peu plus clair pour agir.

Tout d’abord, il faut rappeler l’évidence: le recrutement est en soi un processus de discrimination. Une entreprise a un besoin. Elle l’exprime, le partage et choisit parmi les personnes qui proposent leur candidature. Elle ne peut pas retenir tout le monde. Choisir, c’est discriminer. C’est écarter plusieurs options, pour n’en retenir qu’une. Choisir n’est pas un problème en soi…

…Si ce choix s’inscrit strictement  dans le cadre de la loi et le respect du principe d’Égalité. 

Des pratiques discriminatoires plurielles et inconscientes

Le marché du travail n’est pas autre chose que le reflet de notre société. On a peur et on ignore ce qui est différent de soi, inconsciemment ou non. On parle d’ailleurs de discriminations au pluriel, car les motifs de rejet de la différence sont malheureusement très variés : le niveau d’études, les écoles fréquentées, l’origine sociale, le lieu d’habitation, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, la couleur de peau, la religion, les accents, les différentes formes de handicaps… ou même les références culturelles.

En réalité, tout le monde peut être touché à différents moments de la vie. On aurait bien tort de se considérer à l’abri. C’est un combat essentiel et jamais gagné.

Pourtant, tout le monde semble d’accord.Les discriminations, “c’est mal”. Il faut punir les entreprises et les personnes qui ne jouent pas le jeu de l’égalité des chances. Facile à dire, car finalement, on a du mal à se sentir concerné. C’est normal, si nos biais sont inconscients !

Au-delà de l’indignation personnelle, que peut-on faire ?

Du côté des entreprises, les pratiques bougent doucement. Comme souvent, c’est l’argument économique qui est mis en avant. Des travaux montrent que la diversité est source de performance et de résilience pour les organisations. Mais cela ne suffit pas à changer la situation. On éprouve même un malaise à voir que les politiques de diversité sont toujours illustrées par des mises en scènes artificielles très éloignées de la “vraie vie” en entreprise

Reconnaissons que mettre en place des mesures de lutte contre les discriminations n’est pas facile, surtout si l’on reste dans un schéma d’efficacité à court-terme. On a l’impression de devoir ajouter des “contraintes” aux nombreuses contraintes qui pèsent déjà sur l’organisation. 

L’égalité des chances demande un changement de perspective radical et inscrit dans la durée ! 

Le challenge est de taille et source d’incertitudes.

Soyons tout de même positifs ! CV anonyme, cabinets de recrutement spécialisés dans la diversité, job-datings inclusifs ou recrutement décloisonné : le mouvement est enclenché. Mais pour changer de dimension, il y a besoin d’une impulsion plus forte encore. Un mouvement citoyen ?

Le temps des engagements personnels

Quand on parle d’insertion ou d’inclusion, on se place plutôt dans une logique de rattrapage. Certaines personnes n’auraient pas les compétences ou les codes pour rentrer sur le marché du travail. En réalité, la plupart du temps, elles sont victimes de leur situation : la précarité est une véritable source de discrimination. Or, la façon de lutter contre cette forme d’exclusion est paradoxale. Même avec de l’accompagnement, c’est aux victimes de compenser elles-mêmes leur situation, comme lorsqu’on leur demande de participer à des ateliers pour développer leur savoir-être. Quelle violence !

On peut pourtant inverser les choses. Plutôt que de demander aux exclus du marché du travail d’acquérir les codes, nous pourrions imaginer empêcher les discriminations, en renonçant collectivement aux informations qui les nourrissent.

De là où nous sommes, nous pouvons changer les pratiques concrètement,  en masquant notre visage sur les réseaux, en utilisant des alternatives au CV dans nos démarches de candidature. Il est possible de faire bouger les lignes.

Si nous voulons vraiment que plus personne ne soit jugé sur des critères stupides ou haineux,  renonçons à faire le marketing de nous-même. Ce n’est pas si difficile.

Acceptons d’être considérés “à compétences égales” avec celles et ceux qui n’ont pas eu notre chance. Rétablissons nous-même l’équité. Revendiquons notre solidarité !

Je m’engage concrètement pour l’égalité des chances :